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Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/46

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les guette le soir. Elles sont aux oiseaux ce qu’il est à l’homme, suspect et apparenté.

Comme je vis que Polydore tenait à ses manies, je cessai de les combattre et, sans plus m’occuper de lui, retournai à mes affaires.

Je me disposais à partir pour une tournée dans la région. Au matin dit, avec mon escorte, je traversai le pont et je vis Polydore qui me saluait de sa barque. Il venait de se baigner au fleuve et se tenait encore ruisselant d’eau. Nu, il n’était pas comme je l’aurais cru, maigre ou débile. Le soleil faisait briller les gouttes sur sa peau blanche et il apparaissait, en plein matin, svelte, nerveux, de chair ferme et de muscles sournois. Je lui rendis son salut ; il plongea et l’eau rejaillit autour de sa chute.

A mon retour je fus stupéfait de la rumeur qui m’accueillit. Polydore venait de tuer deux hommes en duel et menait par tout le pays une vie effrénée et inattendue. La ville et les alentours en bourdonnaient, leur tranquillité ordinaire se sentait comme ensorcelée. Un siècle de rigorisme fondait sa décence comme une cire sur l’autel du diable. Un vent de folie soufflait ; les graves repas d’autrefois se changeaient en