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Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome II (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/40

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arbres), car cette ferveur naturelle, laquelle abonde ès fruits nouveaux et laquelle par son ébullition facilement évapore ès parties animales (comme nous voyons faire le moût), est, long temps a[1], expirée et résolue. Et boirez belle eau de ma fontaine.

— La condition, dit Panurge, m’est quelque peu dure. J’y consens toutefois, coûte et vaille, protestant déjeuner demain à bonne heure, incontinent après mes songeailles. Au surplus, je me recommande aux deux portes d’Homère, à Morpheus, à Icelon, à Phantasus, et Phabéton. Si au besoin ils m’aident et secourent, je leur érigerai un autel joyeux, tout composé de fin dumet[2]. Si en Laconie j’étais dedans le temple d’Ino, entre Œtyle et Thalames, par elle serait ma perplexité résolue en dormant à beaux et joyeux songes. »

Puis demanda à Pantagruel : « Serait-ce point bien fait si je mettais dessous mon coussin quelques branches de laurier ?

— Il n’est, répondit Pantagruel, jà besoin. C’est chose superstitieuse, et n’est qu’abus ce qu’en ont écrit Sérapion Ascalonites, Antiphon, Philochorus, Artémon et Fulgentius Placiades. Autant vous en dirais-je de l’épaule gauche du crocodile et du caméléon, sauf l’honneur du vieux Démocrite, autant de la pierre des Bactrians nommée Eumétrides, autant de la corne d’Hammon (ainsi nomment les Éthiopiens une pierre précieuse à couleur d’or et forme d’une corne de bélier, comme est la corne de Jupiter Hammonien, affirmants autant être vrais et infaillibles les songes de ceux qui la portent, que sont les oracles divins.) Par aventure est ce qu’écrivent Homère et Virgile des deux portes de songe, esquelles vous êtes recommandé. L’une est d’ivoire, par laquelle entrent les songes confus, fallaces et incertains, comme à travers l’ivoire, tant soit déliée que voudrez, possible n’est rien voir, sa densité et opacité empêche la pénétration des esprits visifs[3] et réception des espèces visibles. L’autre est de corne, par laquelle entrent les songes certains, vrais et infaillibles, comme à travers la corne, par sa resplendeur et diaphanéité apparaissent toutes espèces certainement et distinctement.

— Vous voulez inférer, dit frère Jean, que les songes des cocus cornus, comme sera Panurge, Dieu aidant et sa femme, sont toujours vrais et infaillibles. »

  1. Depuis longtemps.
  2. Duvet.
  3. Visuels.