divin. Ces choses faites, dévotement se transportaient en la
sainte chapelle (ainsi était en leurs rébus nommée la cuisine
claustrale) et dévotement sollicitaient que dés lors fût au feu
le bœuf mis pour le déjeuner des religieux, frères de Notre-Seigneur.
Eux-mêmes souvent allumaient le feu sous la marmite.
Or est que, matines ayant neuf leçons, plus matin se levaient,
par raison. Plus aussi multipliaient en appétit et altération,
aux abois du parchemin[1], que matines étant ourlées d’une ou
trois leçons seulement. Plus matin se levants, par ladite cabale,
plus tôt était le bœuf au feu :
Plus y étant, plus cuit restait,
Plus cuit restant, plus tendre était,
moins usait les dents, plus délectait le palais, moins grevait
l’estomac, plus nourrissait les bons religieux, qui est la fin unique
et intention première des fondateurs, en contemplation de ce
qu’ils ne mangent mie[2] pour vivre, ils vivent pour manger,
et n’ont que leur vie en ce monde. Allons, Panurge.
— À cette heure, dit Panurge, t’ai-je entendu, couillon velouté, couillon claustral et cabalique. Il m’y va du propre cabal[3]. Le sort, l’usure et les intérêts je pardonne[4]. Je me contente des dépens, puisque tant disertement nous as fait répétition sur le chapitre singulier de la cabale culinaire et monastique. Allons, Carpalim. Frère Jean, mon baudrier, allons. Bonjour, tous mes bons seigneurs. J’avais assez songé pour boire. Allons. »
Panurge n’avait ce mot achevé, quand Épistémon à haute voix s’écria, disant : « Chose bien commune et vulgaire entre les humains est le malheur d’autrui entendre, prévoir, connaître et prédire. Mais, ô que chose rare est son malheur propre prédire, connaître, prévoir et entendre, et que prudemment le figura Ésope en ses apologues, disant chacun homme, en ce monde naissant, une besace au cou porter, on[5] sachet de laquelle devant pendant sont les fautes et malheurs d’autrui, toujours exposées à notre vue et connaissance : on sachet derrière pendant sont les fautes et malheurs propres, et jamais ne sont vues ni entendues, fors de ceux qui des cieux ont le bénévole aspect[6]. »