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Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome II (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/81

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que ma femme ne rôtira point. Encore vous prierai-je mener la première danse des pucelles, s’il vous plaît me faire tant de bien et d’honneur, pour la pareille.

« Reste un petit scrupule à rompre. Petit, dis-je, moins que rien. Serai-je point cocu ?

— Nenni dea[1] mon ami, répondit Hippothadée, si Dieu plaît.

— Ô la vertu de Dieu, s’écria Panurge, nous soit en aide ! Où me renvoyez-vous, bonnes gens ? Aux conditionales, lesquelles, en dialectique, reçoivent toutes contradictions et impossibilités. Si mon mulet transalpin volait, mon mulet transalpin aurait ailes. Si Dieu plaît, je ne serai point cocu : je serai cocu, si Dieu plaît. Dea, si fût condition à laquelle je puisse obvier, je me désespérerais du tout. Mais vous me remettez au conseil privé de Dieu, en la chambre de ses menus plaisirs. Où prenez-vous le chemin pour y aller, vous autres Français ? Monsieur notre père, je crois que votre mieux sera ne venir pas à mes noces. Le bruit et la triballe[2] des gens de noces vous rompraient tout le testament[3]. Vous aimez repos, silence et solitude. Vous n’y viendrez pas, ce crois-je. Et puis vous dansez assez mal, et seriez honteux menant le premier bal. Je vous enverrai du rillé[4] en votre chambre, de la livrée nuptiale aussi. Vous boirez à nous, s’il vous plaît.

— Mon ami, dit Hippothadée, prenez bien mes paroles, je vous en prie. Quand je vous dis : « S’il plaît à Dieu », vous fais-je tort ? Est-ce mal parlé ? Est-ce condition blasphème[5] ou scandaleuse ? N’est-ce honorer le Seigneur, créateur, protecteur, servateur[6] ? N’est-ce le reconnaître unique dateur[7] de tout bien ? N’est-ce nous déclarer tous dépendre de sa bénignité, rien sans lui n’être, rien ne valoir, rien ne pouvoir, si sa sainte grâce n’est sur nous infuse ? N’est-ce mettre exception canonique à toutes nos entreprises et tout ce que nous proposons remettre à ce que sera disposé par sa sainte volonté, tant ès cieux comme en la terre ? N’est-ce véritablement sanctifier son benoît nom ? Mon ami, vous ne serez point cocu, si Dieu plaît. Pour savoir sur ce quel est son plaisir, ne faut entrer en désespoir, comme de chose absconse[8], et pour laquelle entendre faudrait consulter son conseil privé et voyager en la chambre de ses très saints plaisirs. Le bon Dieu nous a fait

  1. Non, certes.
  2. L’agitation.
  3. La tête (jeu de mots).
  4. Des rillons.
  5. Blasphématoire.
  6. Sauveur.
  7. Dispensateur.
  8. Cachée.