Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/164

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vernacule gallique ; mais viceversement je gnave opère et par vèle et rames je m’énite de le locupleter de la redondance latinicome.

— Par Dieu, dit Pantagruel, je vous apprendrai à parler. Mais devant, réponds-moi, dont es-tu ? »

À quoi dit l’écolier :

« L’origine primève de mes aves et ataves fut indigène des régions Lémoviques, où requiesce le corpore de l’agiotade saint Martial.

— J’entends bien, dit Pantagruel, tu es Limousin, pour tout potage, et tu veux ici contrefaire le Parisien. Or viens çà, que je te donne un tour de pigne[1]. »

Lors le prit à la gorge, lui disant :

« Tu écorches le latin ; par saint Jean, je te ferai écorcher le renard[2], car je t’écorcherai tout vif. »

Lors commença le pauvre Limousin à dire :

« Vée dicou ! gentilâtre, ho ! saint Marsault, adiouda mi ; hau, hau, laissas à quau, au nom de Dious, et ne me touquas grou[3]. »

À quoi dit Pantagruel :

« À cette heure parles-tu naturellement. »

Et ainsi le laissa, car le pauvre Limousin conchiait toutes ses chausses, qui étaient faites à queue de merlus et non à plein fond, dont dit Pantagruel : « Saint Alipentin, quelle civette ! Au diable soit le mâcherable[4] tant il pue ! » et le laissa. Mais ce lui fut un tel remords toute sa vie, et tant fut altéré, qu’il disait souvent que Pantagruel le tenait à la gorge, et après quelques années, mourut de la mort Roland[5], ce faisant la vengeance divine et nous démontrant ce que dit le Philosophe et Aulu-Gelle, qu’il nous convient parler selon le langage usité, et, comme disait Octavian Auguste, qu’il faut éviter les mots épaves en pareille diligence que les patrons de navires évitent les rochers de mer.

COMMENT PANTAGRUEL VINT À PARIS…

Après que Pantagruel eut fort bien étudié en Orléans, il délibéra visiter la grande université de Paris ; mais, devant que partir, fut averti qu’une grosse et énorme cloche était à

  1. Peigne.
  2. Rendre gorge.
  3. « Eh ! dites… Ho ! saint Martial, aide-moi. Ho ! ho ! laissez-moi au nom de Dieu et ne me touches pas. » (en limousin).
  4. Mâcherave.
  5. De soif.