Page:Rabelais marty-laveaux 01.djvu/254

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Certain jour, vers le matin, que on le vouloit faire tetter une de ses vaches (car de nourrisses il n’en eut jamais aultrement, comme dict l’hystoire), il se deffit des liens qui le tenoyent au berceau un des bras, et vous prent ladicte vache par dessoubz le jarret, et luy mangea les deux tetins et la moytié du ventre, avecques le foye et les roignons, et l’eust toute devorée, n’eust esté qu’elle cryoit horriblement comme si les loups la tenoient aux jambes, auquel cry le monde arriva, et osterent ladicte vache à Pantagruel ; mais ilz ne sceurent si bien faire que le jarret ne luy en demourast comme il le tenoit, et le mangeoit très bien, comme vous feriez d’une saulcisse ; et quand on luy voulut oster l’os, il l’avalla bien tost comme un cormaran feroit un petit poisson, et après commença à dire : « Bon ! bon ! bon » car il ne sçavoit encores bien parler, voulant donner à entendre que il avoit trouvé fort bon, et qu’il n’en failloit plus que autant. Ce que voyans, ceulx qui le servoyent le lierent à gros cables, comme sont ceulx que l’on faict à Tain pour le voyage du sel de Lyon, ou comme sont ceulx de la grand nauf Françoyse qui est au port de Grace en Normandie.

Mais, quelquefoys que un grand ours, que nourrissoit son pere, eschappa et luy venoit lescher le visage, (car les nourrisses ne luy avoyent bien à point torché les babines), il se deffist desdictz cables aussi facillement comme Samson d’entre les Philistins, et vous print Monsieur de l’Ours, et le mist en pieces comme un poulet, et vous en fist une bonne gorge chaulde pour ce repas. Par quoy, craignant Gargantua qu’il se gastast, fist faire quatre grosses chaisnes de fer pour le lyer, et fist faire des arboutans à son berceau, bien afustez. Et de ces chaisnes en avez une à La Rochelle,