Aller au contenu

Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
259
prologve

gens de bien : l’autre eſt des gens de bien aimé. L’vn eſt vn fin & cauld Renard : l’aultre meſdiſant, meſeſcriuant & abayant contre les antiques Philoſophes & Orateurs comme vn chien. Que t’en ſemble diz, grand Vietdaze Priapus ? I’ay maintes fois trouvé ton conſeil & aduis equitable & pertinent : & habet tua mentula mentem.[1] Roy Iuppiter (reſpondit Priapus defleublant ſon capuſſion, la teſte leuée, rouge, flamboyante, & aſſeurée) puis que l’vn vous comparez à vn chien abayant, l’aultre à vn fin freté Renard, ie ſuis d’aduis, que ſans plus vous faſcher ne alterer, d’eulx faciez ce que iadis feiſtez d’vn chien, & d’vn Renard. Quoy ? demanda Iuppiter. Quand ? Qui eſtoient ilz ? Ou feut ce ? O belle memoire, reſpondit Priapus. Ce venerable pere Bacchus, lequel voyez cy à face cramoiſie, auoit pour ſoy venger des Thebains vn Renard fée, de mode que quelque mal & dommaige qu’il feiſt, de beſte du monde ne ſeroit prins ne offenſé. Ce noble Vulcan auoit d’Ærain Moneſian faict vn chien, & à force de ſouffler l’auoit rendu viuant & animé. Il le vous donna : vous le donnaſtes à Europe voſtre mignonne. Elle le donna à Minos : Minos à Procris, Procris enfin le donna à Cephalus. Il eſtoit pareillement fée, de mode que à l’exemple des aduocatz de maintenant il prendroit toute beſte rencontrée, rien ne luy eſchapperoit. Aduint qu’ilz ſe rencontrerent. Que feirent ilz ? Le chien par ſon deſtin fatal doibuoit prendre le Renard : le Renard par ſon deſtin ne doibuoit eſtre prins[2]. Le cas fut rapporté à voſtre conſeil. Vous proteſtatez non contreuenir aux Deſtins. Les Deſtins eſtoient contradictoires. La verité, la fin, l’effect de deux contradictions enſemble feut declairée impoſſible en nature. Vous en ſuaſtez d’ahan. De voſtre

  1. Et habet… mentem. « Et ta mentule a de l’esprit. » Jeu de mots entre mentula et mens, esprit, intelligence. Voy. ci-après la note sur la p. 263.
  2. Le Renard par ſon deſtin ne doibuoit eſtre prins. Voyez Pollux (Onomascicon, V, 5) et Pausanias (IX, 19). Furetière a reproduit ce récit à la fin du Roman bourgeois (liv. II, p. 132, éd. Jannet.) : « Le hazard voulut qu’un jour le chien fée fut laſché ſur le lièvre fée. On demanda là-deſſus quel ſeroit le don qui prévaudroit : ſi le chien prendroit le lièvre, ou ſi le lièvre échapperoit du chien, comme il eſtoit écrit dans la deſtinée de chacun. La réſolution de cette difficulté eſt qu’ils courent encore. »