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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/291

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chapitre iiii

priſeroit & oubliroit le benefice. Eſtant doncques opprimé d’obligations infinies toutes procrees de voſtre immenſe benignité, & impotent à la minime partie de recompenſe, ie me ſaulueray pour le moins de calumnie, en ce que de mes eſpritz n’en ſera à iamais la memoire abolie : & ma langue ne ceſſera confeſſer & proteſter que vous rendre graces condignes eſt choſe tranſcendente ma faculté & puiſſance.

Au reſte i’ay ceſte confiance en la commiſeration & ayde de noſtre Seigneur, que de ceſte noſtre peregrination la fin correſpondera au commencement : & ſera le totaige en alaigreſſe & ſanté perfaict. Ie ne fauldray à reduire en commentaires & ephemerides tout le diſcours de noſtre nauiguaige : affin que à noſtre retour vous en ayez lecture veridicque. I’ay icy trouué vn Tarande de Scythie, animal eſtrange & merueilleux à cauſe des variations de couleur en ſa peau & poil, ſcelon la diſtinction des choſes prochaines. Vous le prendrez en gré. Il eſt autant maniable & facile à nourir qu’vn aigneau. Ie vous enuoie pareillement troys ieunes Vnicornes plus domeſticques & appriuoiſees, que ne ſeroient petitz chattons. I’ay conferé auecques l’eſcuyer, & dict la maniere de les traicter. Elles ne paſturent en terre, obſtant leur longue corne on front. Force eſt que paſture elles prenent es arbres fruictiers, ou en rattelliers idoines, ou en main, leurs offrant herbes, gerbes, pommes, poyres, orge, touzelle : brief toutes eſpeces de fruictz & legumaiges. Ie m’eſbahis comment nos eſcriuains antiques les diſent tant farouches, feroces, & dangereuſes, & oncques viues n’auoir eſté veues. Si bon vous ſemble ferez eſpreuue du contraire : & trouuerez qu’en elles conſiſte vne mignotize la plus grande du monde, pour-