Comment Pantagruel paſſa Procuration[1], & de l’eſtrange
maniere de viure entre les Chicquanous.
Chapitre XII.
ontinvant noſtre routte au iour ſubſequens paſſaſmes Procuration, qui eſt vn pays tout chaſſouré & barbouillé. Ie n’y congneu rien. Là veiſmes des Procultous & Chiquanous gens à tout le poil. Ilz ne nous inuiterent à boyre ne à manger. Seulement en longue multiplication de doctes reuerences nous dirent, qu’ilz eſtoient tous à noſtre commendement en payant. Vn de nos truchemens racontoit à Pantagruel comment ce peuple guaignoient leur vie en façon bien eſtrange : & en plein Diametre contraire aux Romicoles. A Rome gens infiniz guaignent leur vie à empoiſonner, à battre, & à tuer. Les Chiquanous la guaignent à eſtre battuz. De mode que ſi par long temps demouroient ſans eſtre battuz, ilz mourroient de male faim, eulx, leurs femmes & enfans[2]. C’eſt, diſoit Panurge, comme ceulx qui par le rapport de Cl. Gal. ne peuuent le nerf cauerneux vers le cercle æquateur dreſſer, s’ilz ne ſont treſbien fouettez.
- ↑ Paſſa Procuration. Terme de droit qui forme ici un jeu de mots. Il ne faudrait pas croire que les violentes attaques auxquelles se livre Rabelais contre les Chicanous étaient une nouveauté. Avant lui, non seulement les satiriques, mais les prédicateurs, tels que Menot et Maillard, avaient poursuivi de leurs invectives, gens de justice, juges, avocats, procureurs, sergents. Voyez H. Estienne, Apologie pour Hérodote, c. VI. — Pierre le Loyer, angevin, dans sa Néphélococugie, imitation fort amusante de la comédie des Oiseaux, d’Aristophane, a substitué au sycophante un personnage nommé Chicanoux, inspiré par ce chapitre. Voyez Egger, Hellénisme en France, t. II, p. 12.
- ↑ Femmes & enfans.
Frappez. J’ay quatre enfans à nourrir.