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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/355

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chapitre xxi

Quelque bonne vague (reſpondit Panurge) le iectera à bourt, comme feit Vlyxes : & quelque fille de Roy allant à l’eſbat ſus le ſerain le rencontrera : puis le fera treſbien executer : & pres le riuaige me fera eriger quelque magnificque cenotaphe : comme feit Dido à ſon mary Sichee, Æneas à Deiphobus ſus le riuaige de Troie pres Rhœte : Andromache à Hector[1], en la cité de Butrot. Ariſtoteles à Hermias & Eubulus[2]. Les Atheniens au poete Euripides[3], les Romains à Druſus[4] en Germanie, & à Alexandre Seuere leur empereur en Gaulle, Argentier à Callaiſchre[5]. Xenocrite à Lyſidices. Timares à ſon filz Teleutagiores. Eupolis & Ariſtodice à leur filz Theotime. Oneſtes à Timocles. Callimache à Sopolis[6] filz de Dioclides. Catulle à ſon frere[7], Statius à ſon pere[8], Germain de Brie à Herué[9] le nauchier Breton. Reſuez tu ? (diſt frere Ian) Ayde icy de part cinq cens mille & millions de charretees de Diables, ayde que le cancre te puiſſe venir aux mouſtaches, & troys razes de anguonnages[BD 1], pour te faire vn hault de chauſſes, & nouuelle braguette. Noſtre nauf eſt elle encaree ? vertus Dieu comment la remolquerons nous ? Que tous les diables de coup de mer voicy ? Nous n’eſchapperons iamais, ou ie me donne à tous les Diables. Allors feut ouye vne piteuſe exclamation de Pantagruel diſant à haulte voix. Seigneur Dieu, ſaulue nous. Nous periſſons[10]. Non toutesfoys aduieigne ſcelon nos affections. Mais ta ſaincte volunté ſoit faicte. Dieu (diſt Panurge) & la benoiſte Vierge ſoient auecques nous. Holos, holas, ie naye. Bebebebous, bebe bous, bous, In manus. Vray Dieu enuoye moy quelque daulphin pour me ſauluer en terre comme vn beau petit Arion. Ie ſonneray bien de la harpe, ſi elle n’eſt deſmanchee. Ie me donne à

  1. Trois raſes d’angonnages. Tuſcan. Trois demis aulnes de boſſes chancreuſes
  1. Sichee,… Deiphobus,… Hector. Ces trois cénotaphes sont indiqués par Virgile dans l’Énéide :

    ....Inhumati venit imago
    Conjugis…
    (I, 353)
    Tunc egomet tumulum Rhæteo in littore inanem
    Constitui…
    (VI, 505)
    Ante urbem (Butroti) in Iuco, falsi Simoentis ad undam,
    Libabat cineri Andromache, Manesque vocabat
    Hectoreum ad tumulum…
    (III, 302)

  2. Hermias & Eubulus. Voyez Diogène Laërce, Vie d’Aristote.
  3. Euripides. Voyez Pausanias, II, et l’Anthologie, VII, 46.
  4. Druſus… Alexandre Seuere. Voyez Suétone, Claude, I, et Lampride, Alexandre Sévère.
  5. Callaiſchre. Pour ce cénotaphe et les suivants, voir l’Anthologie : Callaiſchre, VII, 395 ; Lyſidices, VII, 291 ; Teleutagores, VII, 652 ; Theotimes, VII, 539 ; Timocles, VII, 274.
  6. Sopolis. Voyez Callimaque, Épigr. XIX, et Anthologie, VII, 274.
  7. Catulle à ſon frere. Voyez Épigr. 101.
  8. Statius à ſon pere. Voyez Sylves, V, 3.
  9. Herué. Hervé de Porzmoguer, capitaine breton, commandant le navire La Cordelière, fut cerné le 10 août 1512, à la hauteur du cap Saint-Mathieu, par douze vaisseaux anglais ; son vaisseau devint la proie des flammes ; mais il aima mieux périr que de se rendre. Germain de Brie, ami de Rabelais, composa, à ce sujet, la pièce suivante :
    HERVEI CENOTAPHIVM.

    Magnanimi manes Heruei nomenque verendum
    Hic lapis obſeruat : non tamen oſſa tegit.
    Auſus enim Anglorum numeroſæ occurrere claſſi
    Quæ patrium infeſtans iam prope littus erat,
    Chordigera inuedus regali puppe, Britannis
    Marte prius ſæuo comminus edomitis,
    Arſit Chordigeræ in flamma, extremoque cadentem
    Seruauit moriens excidio patriam.
    Priſca duos ætas Decios miratur : at vnum
    Quem conferre queat, noſtra duobus habet.

    (Germanus Brixius, Chordigeræ nauis conflagratio. Ex ædibus Aſcenſianis, 1513, Lutetiæ Parhiſiorum)

    L’Anglais Thomas Morus, cherchant à diminuer la gloire d’Hervé, répondit à Germain de Brie par cette épigramme :

    Heruea cum Deciis vnum conferre duobus
    Ætas, te, Brixi, iudice, noſtra poteſt.
    Sed tamen hoc distant, illi quod ſponte peribant,
    Hic periit quoniam non potuit fugere.

  10. Nous periſſons. « Domine, salva nos, perimus. » (S. Matthieu, VIII, 25.)