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Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/94

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Comment Panurge parle à la Sibylle de Panzouſt.

Chapitre XVII.


Levr chemin feut de troys iournées. La troizieme à la croppe de vne montaigne ſoubs vn grand & ample Chaſtaignier leurs feut monſtrée la maiſon de la vaticinatrice. Sans difficulté ilz entrerent en la caſe chaumine, mal baſtie, mal meublée, toute enfumée. Baſte, diſt Epiſtemon, Heraclitus grand Scotiſte[1] & tenebreux philoſophe ne s’eſtonna entrant en maiſon ſemblable, expoſant à ſes ſectateurs & diſciples, que là auſſi bien reſidoient les Dieux, comme en palais pleins de delices. Et croy que telle eſtoit la caſe de la tant celebrée Hecale, lors qu’elle y feſtoya le ieune Theſeus : telle auſſi cele de Hireus ou Oenopion, en laquelle Iuppiter, Neptune, & Mercure enſemble ne prindrent à deſdaing entrer, repaiſtre, & loger : en laquelle officialement pour l’eſcot forgerent Orion. Au coing de la cheminée trouverent la vieille. Elle eſt (s’eſcria Epiſtemon) vraye Sibylle & vray protraict naïfuement repræſenté par τῇ ϰαμινοῖ[2] de Homere. La vieille eſtoit mal en poinct, mal veſtue, mal nourrie, edentée, chaſſieuſe, courbaſſée, rou-

  1. Heraclitus grand Scotiſte. Regis a fort ingénieusement remarqué que Rabelais se rappelle ici ce passage du De finibus de Cicéron (II, 5) : « Heraclitus cognomento qui σχοτεινός perhibetur, quia de natura nimis obscure memoravit. » Il traduit malignement σχοτεινός, obscur, par Scotiste, s’amusant ainsi aux dépens de Duns Scot, sans même mettre son lecteur dans la confidence de cette plaisanterie érudite que le savant allemand a fort à propos restituée.
  2. Τῇ ϰαμινοῖ. « A l’enfumée. » Dans l’Odyssée (XVIII, 27) Irus dit qu’Ulysse est semblable à une vieille enfumée γρηἶ ϰαμινοῖ ἶσος.