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Page:Rachilde - La Marquise de Sade, 1887.djvu/234

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Ensuite, sans que rien pût le faire prévoir, le bruit courut que les ennemis étaient dans la forêt de Joigny. Le propriétaire du colonel Barbe arriva chez Tulotte, et, devant elle, il décrocha de vieux rideaux de soie jaune garnissant les fenêtres du salon : il ne voulait pas que ses rideaux pâtissent de la guerre, cet homme.

— Mais, balbutiait Tulotte, on les défendra, vos rideaux ! Ça ne pressait pas, mon Dieu ! Il aurait mieux valu décrocher votre fusil de chasse pour le nettoyer en cas de bataille sous la ville !

Personne ne releva la remarque de Tulotte.

Les rideaux de soie jaune furent enfouis derrière les cloches à melons, dans le bout du jardin qu’avait le propriétaire.

Les bruits s’accentuant, la situation empira et l’on finit par enfouir les draps de lit. Il y avait des familles entières qui couchaient sur de simples paillasses, attendant le jour néfaste où l’ennemi entrerait dans la ville.

Tulotte se laissa gagner, car rien n’est contagieux comme ces sortes de paniques, elle emballa tout leur mobilier, décidée à se replier sur Paris ; d’ailleurs le dépôt avait reçu des ordres de départ, ce n’était qu’une question de temps. Et la population, ne s’expliquant pas l’intelligence de ces retraites devant le vainqueur, clamait qu’on voulait la livrer, l’abandonner. Les récits des atrocités prussiennes leur inspiraient des épouvantes intraduisibles ; à part les dames employées aux ambulances et quelques jeunes