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Page:Rachilde - Madame Adonis, 1929.djvu/160

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avec de jolies dents tranchantes et laiteuses, elle causait avec un accent sonore et plein de caresses. Enfin, si elle n’était pas une femme désirable, elle devait posséder de tels secrets d’amour qu’on se laissait envahir, tout près d’elle, par le lancinant besoin de les lui demander.

Sa poitrine, droite, n’accusant pas de seins possibles, demeurait une énigme qu’on redoutait d’approfondir. Et la ligne serpentine du corps décelait quelques irritantes beautés, peut-être fausses.

Pour Louis Bartau, le simple marchand de bois, il ne cherchait plus le mot de ce problème féminin. Elle venait de Paris, donc elle n’était pas faite comme tout le monde. La première fois qu’il avait présenté sa note dans la maison du quai, elle l’avait reçu devant une table servie, à son déjeuner, et la femme qui mange est si vulgaire, n’est-ce pas ? qu’il ne s’était occupé que de leurs additions. À la vérité, il avait constaté que cette dame croquait le gibier et buvait le vin blanc comme un chasseur. Tout, le long des murs, lui avait donné une fière idée de ses divers appétits. Des trophées de chasse : tête de cerf, carabine, pistolet, dague, carnier, couteau, poire à poudre, des panoplies de salle d’armes ornées de tous les genres d’épées connues. Sur la toile de java brodée de fleurs de lis rouge, des tableaux de bons maîtres exhibaient des natures mortes d’une tonalité gourmande. Et puis, un autre matin, il était entré dans la chambre à coucher tapissée de rose-chine, un satin très épais qu’elle avait voulu, l’excentrique, recouvrir de tulle noir comme d’un deuil de co-