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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/25

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richesses naturelles. On voit que l’idée de production était liée encore à une matérialité apparente et non pas à une idée d’utilité.

Mais revenons à Aristote.

La méthode chrématistique, ou acquisition par voie d’échange, implique d’une nécessité à peu près absolue l’usage de la monnaie. Aristote a suffisamment entrevu dans celle-ci son caractère d’équivalent et d’évaluateur de toutes choses. Mais ce caractère, la monnaie le tient-elle de la nature ou bien le tient-elle de la loi ? Ici les idées du philosophe sont un peu confuses pour ne pas dire contradictoires : d’une part, en effet, pour le remplacement du troc par la vente, il admet que « l’on convint de donner et de recevoir dans les échanges une matière qui, utile par elle-même, fût aisément maniable dans les usages de la vie[1] » ; d’autre part, au contraire, il n’attribue à la monnaie d’autre valeur que celle qu’elle tient de la loi, comme si la frappe l’avait définitivement transformée de marchandise en simple signe sans retour possible à sa première forme[2]. Enfin et surtout, quand il affirme que « l’argent ne devrait servir qu’à l’échange[3] », on peut se demander s’il a vu suffisamment en lui le pouvoir d’emmagasiner la valeur[4]. Il serait également difficile de

  1. Politique, 1. I, ch. III, § 14.
  2. « Cet argent n’est en lui-même qu’une chose absolument vaine, n’ayant de valeur que par la loi et non par la nature, puisqu’un changement de convention parmi ceux qui en font usage peut le déprécier complètement et le rendre tout à fait incapable de satisfaire aucun de nos besoins » (Ibid., § 16). Faudrait-il supposer qu’Aristote n’aurait envisagé ici que le pouvoir légal de paiement ? Ce serait encore plus invraisemblable. — M. Dubois (Précis de l’histoire des doctrines économiques, t. 1, p. 51, en note) lève la difficulté en supposant que, ici, νόμος doit être traduit par « coutume » et non par « loi ». L’idée d’Aristote serait donc que l’or et l’argent ne vaudraient plus rien (comme marchandise) si l’usage s’introduisait de n’en faire aucun cas. Malheureusement le dictionnaire proteste énergiquement contre ce sens du mot loi : il faudrait donc supposer qu’Aristote eût voulu ne pas être compris.
  3. Ibid, § 23.
  4. La lacune ou la contradiction d’Aristote est bien relevée par Claudio Jannet (Le Capital, la spéculation et la finance au xixe siècle, p. 76).