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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/407

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hâte d’ajouter Ricardo, parce que, de pays à pays, ni le travail, ni le capital n’ont cette même mobilité[1].

Notons ici le caractère beaucoup trop tranché de ce contraste entre deux provinces du même pays, d’une part, et deux pays différents, d’autre part. Il nous semble téméraire d’affirmer qu’entre deux provinces le capital et le travail se déplacent tout naturellement et qu’au contraire ils ne le puissent pas entre deux nations. L’une et l’autre de ces deux propositions est trop absolue pour être rigoureusement exacte.

Aussi bien Stuart Mill lui-même remarque-t-il que « les capitaux deviennent de jour en jour plus cosmopolites[2] » ; quant à Cairnes, il combattra radicalement la théorie sur ce point là[3].

Nous signalons au passage cette concession de l’un et de l’autre : venant de libre-échangistes comme eux, elle peut être exploitée avec fruit contre le libre-échange lui-même. En tout cas, il est simultanément vrai que les capitaux, le travail et les populations aussi peuvent émigrer de nation à nation, et que dans l’intérieur d’une même nation les salaires et le standard of life présentent — en France particulièrement — d’immenses dénivellements. Ricardo avait donc le double tort de croire que

  1. Ricardo et Stuart Mill, loc. cit.
  2. Stuart Mill, loc. cit.
  3. Cairnes, Some leading principles, 1. III, ch. i, § 1, p. 362 : « The assumption commonly made in treatises of political economy is that, as between occupations and localities within the same country, the freedom of movement for capital and labour is perfect, while, as between nations, capital and labour move with difficulty or not at all. In strictness neither member of this assumption can be maintained. » — Voyez aussi Bastable, Théorie du commerce international, ch. i, tr. fr., pp. 12 et s. — « Mill et Ricardo, dit M. Fontana-Russo, crurent que cette mobilité était très grande à l’intérieur, alors qu’elle est au plus d’une facilité relative et animée seulement d’un mouvement modéré. Ils admirent, d’autre part, que le capital et le travail ne pourraient jamais se détacher du marché intérieur et que l’exportation leur était interdite. En raisonnant ainsi, ces économistes croyaient que les termes de l’échange, susceptibles de fluctuations continuelles à l’intérieur d’un pays, ne l’étaient point pour les marchandises produites sur des marchés différents. Mais l’expérience de chaque jour prouve précisément le contraire » (Fontana-Russo, Traité de politique commerciale, tr. fr., p. 28).