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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/43

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mérite de la vertu, toujours plus précieux que les satisfactions égoïstes de l’intérêt[1].

C’est surtout depuis l’apparition du socialisme que la doctrine des Pères de l’Église sur la propriété a particulièrement attiré l’attention. Sous la République de 1848, en effet, et dans la période qui l’a précédée, nombre de socialistes, tels que Cabet et Considérant, ont revendiqué pour leurs erreurs « l’autorité de l’Évangile et les pures traditions de la religion des faibles et des opprimés[2] ». De notre temps aussi, certains catholiques généreux ont cherché dans les Pères de l’Église un appui pour des formules qui, sous prétexte de rajeunir et de légitimer la propriété, ne seraient pas allées à moins qu’à autoriser les spoliations après les convoitises.

Il serait aisé de montrer jusqu’à quel point les textes que l’on a invoqués étaient détournes de leur signification et de leur portée. La preuve en a été faite trop souvent et avec trop de détails pour que nous ayons ici à y revenir. Ce qui subsiste de ces discussions, c’est que les riches sont tenus au devoir de l’aumône, sans que l’obligation qui leur en est faite infirme la légitimité de la propriété individuelle ou qu’elle soit le moins du monde contraire à l’idée des inégalités sociales. Précisément l’aumône implique le droit de propriété de celui qui donne et la pauvreté de celui qui reçoit[3].

  1. Le texte du nouveau Testament qui nous éclaire le mieux sur les dispositions du christianisme à l’égard des esclaves, est peut-être l’épître de saint Paul à Philémon (v. 10-21). L’esclave Onésime s’était enfui de chez son maître Philémon : saint Paul le renvoie à Philémon, dont par conséquent il reconnaît le droit ; mais il supplie Philémon de recevoir Onésime comme il recevrait un frère et même comme il recevrait l’apôtre en personne, « pro servo carissimum fratrem… Si ergo habes me socium, suscipe illum sicut me. » — Le repos dominical, qui n’avait aucun similaire dans le paganisme, était aussi une réforme considérable : et il faut remarquer, que déjà chez les Juifs les esclaves, très peu nombreux d’ailleurs, jouissaient du repos sabbatique. Mgr de Ketteler, dans sa fameuse brochure die Arbeiterfrage und das Christenthum, a développé très heureusement la portée de ces principes nouveaux (Op. cit., 2e édition, 1864, pp. 152-156).
  2. Considérant, le Socialisme devant le vieux monde ou le vivant devant les morts, 2e édition, 1849, p. 212 ; — etc., etc.
  3. Étudier particulièrement Thonissen, professeur à l’Université catholique de Louvain, le Socialisme depuis l’antiquité, 1852, 1. I, ch. iii et iv (t. I, pp. 75-151). — Voir aussi Henry Joly, Socialisme chrétien, 1892, ch. ii.