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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/61

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tirer de son fonds aucun autre revenu que celui du travail que lui-même y consacre personnellement[1]

Cependant l’opinion thomiste sur le commerce, quoique déjà plus douce que d’autres, n’était pas unanimement suivie, même au XIIIe siècle, et il semble qu’au XIVe siècle elle fut abandonnée sans que le profit commercial rencontrât plus longtemps de sérieux contradicteurs[2].

En tout cas, la réponse de saint Thomas sur la question, de savoir ulrum liceat negotiando aliquid carius vendere quam emere ne pouvait guère permettre la spéculation, dont l’utilité économique pour la régularisation des cours et l’atténuation des écarts n’était et ne pouvait être encore aucunement soupçonnée. Saint Thomas est absolument muet sur ce sujet[3]. Mais aux XIIIe et XIVe siècle l’Ayenbite of

  1. M. l’abbé Hohoff (La Valeur d’après saint Thomas d’Aquin, déjà citée) : « C’est une erreur totale, dit-il, de s’imaginer que logiquement le droit de propriété implique le revenu d’un gain sans labeur » (Op. cit., p. 282). Nous y reviendrons dans un instant, à propos du mutuum au cas de crédit à la production.
  2. En ce sens Henri de Gand, De mercimonio et negotiationibus, qui admet, pour justifier l’écart des deux prix d’achat et de revente, des différences basées sur les changements de lieu, de temps et de conditions (cité par Jourdain, Mémoire à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1874). — Dans le même sens, Duns Scott (1274-1308) et François de Mayronis (mort en 1325). — Montesquieu rattache aux théories scolastiques la ruine du commerce au moyen âge. « Nous devons, a-t-il dit, aux spéculations des scolastiques tous les malheurs qui ont accompagné la destruction du commerce » (Esprit des lois, 1. XXI, ch. xx). Il y a erreur. C’étaient les malheurs des temps qui avaient ruiné le commerce après les invasions des Barbares et non pas même immédiatement après elles. Quant aux spéculations des scolastiques, elles ne sont venues que plusieurs siècles plus tard, et elles sont venues précisément au temps où le commerce se relevait, soit au sein des républiques italiennes, soit dans les cités commerçantes des Flandres et de l’Allemagne. Montesquieu, en haine de l’Église, a donc commis un anachronisme de plusieurs siècles. Ashley, beaucoup mieux documenté, est beaucoup plus judicieux sur les conséquences sociales que la défaveur du commerce peut avoir entraînées (Ashley, op. cit., 3e édition [anglaise], t. I, pp. 129-130).
  3. Il permet, cependant, à un marchand de blé de vendre actuellement et aux cours actuels sans informer les acheteurs que l’arrivée prochaine d’autres marchands va déterminer une baisse des prix ; mais, il ajoute : « Si tamen exponeret vel de pretio subtraheret, abundantioris esse virtutis, quamvis ad hoc non videatur teneri ex justitiae debito » (IIa IIae, quaestio LXXVII, art ; 3, ad quartum).