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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/611

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La République, πολιτεία, est un dialogue, en dix livres, qui respire un grossier communisme. Le peuple doit être partagé en quatre classes : 1° celle des magistrats et des sages ; 2° celle des guerriers ; 3° celle des artisans, laboureurs et commerçants ; enfin, 4° celle des esclaves. Du reste, ces classes ne sont pas fermées entre elles : les magistrats peuvent faire passer les citoyens de l’une dans l’autre. Les hommes et les femmes sont égaux. Dans toutes les classes, les enfants sont communs à tous les citoyens et sont élevés par l’État. Chez les guerriers, les femmes sont communes ; dans les autres classes, elles sont tirées au sort annuellement[1]. Il est certain pour nous que la propriété est supprimée dans les deux premières classes et qu’elle ne peut pas exister dans la quatrième ; en ce qui concerne la troisième (celle des artisans, laboureurs et commerçants), il est possible qu’elle soit maintenue : Aristote ne savait que penser[2], et ce n’est pas nous qui pouvons songer à lever le doute.

Tel qu’il est, ce dialogue est par endroits une œuvre du plus monstrueux cynisme, vraie « combinaison de haras », disait Thonissen[3]. « Pour assurer de nobles loisirs à une petite aristocratie de guerriers et de philosophes, Platon condamne à la nullité politique et au mépris tous les citoyens qui s’adonnent aux travaux utiles… Cette aristocratie, il la perpétue par la promiscuité et l’épure par l’infanticide. Amour conjugal, tendresse maternelle,

    Poehlmann (professeur à l’Université d’Erlangen), Geschichte des antiken Kommunismus und des Socialismus, Munich, 1893.

  1. Fournière proteste contre l’idée que Platon (et ensuite Campanella) aient voulu faire les femmes communes, ce qui les aurait ravalées au niveau des choses, puisque celles-ci aussi étaient communes. Selon lui, « Platon est bien un précurseur du féminisme, puisqu’il ne considère pas la femme comme subordonnée à l’homme… elle lui est commune comme l’homme lui est commun ». C’est donc une communauté ou polygamie successive avec droits égaux de tous sur chacune et de toutes sur chacun (Fournière, Théories socialistes au XIXe siècle, 1904, pp. 52-54). Mais est-il concevable que ce système puisse fonctionner ?
  2. Aristote, Politique, 1. II, ch. ii, § 11.
  3. Thonissen, le Socialisme depuis l’antiquité, Louvain, 1852, t. I, p. 47.