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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/66

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la gratuité essentielle que le droit naturel lui-même, à ce que l’on dit, imposerait au mutuum[1]. Cette apparente contradiction n’a pas échappé aux chrétiens sociaux de la fin du XIXe siècle[2] ; et M. Rudolf Meyer, un des plus avancés d’entre eux, n’a pas craint d’affirmer que reconnaître la productivité du capital terre ou celle du capital instrument, c’est se condamner à reconnaître tôt ou tard la productivité du capital argent ; d’où il suit, à l’en croire, que l’Église, ayant commis la faute de ne pas nier jadis que la terre pût être un élément de revenu pour le propriétaire non cultivateur, devait forcément, après une résistance plus ou moins longue, s’avouer vaincue même dans sa lutte contre le prêt à intérêt[3].

Des socialistes qui n’ont rien de chrétien — Anton Menger par exemple — ont professé la même opinion. « Il n’y a pas la moindre raison, a-t-il dit, pour attaquer au point de vue moral et religieux le prêt à intérêt et l’usure plutôt que les autres formes du revenu sans travail et leurs abus. Si l’on conteste la légitimité du prêt à intérêt, on doit également repousser comme inadmissibles les autres formes de profit du capital et la rente foncière, et notamment les formes féodales du moyen âge… Ce n’eût été qu’une conséquence logique du point de vue où s’était placée l’Église, si elle s’était prononcée en général contre le revenu sans travail ; et la célèbre sentence de l’apôtre Paul, « celui qui ne travaille pas ne doit pas manger »

  1. Voyez plus haut, p. 28, la discussion sur le véritable sens de la gratuité du mutuum en droit romain.
  2. Voir nos Éléments d’économie politique, 2e édition, pp. 467 et 464 en note et les divers auteurs que nous y citons.
  3. « Das schliessliche Scheitern der mittelalterlichen Wirtschaftsordnung beruht wohl… zum grossen Theile darauf, dass die ICirche ihre Gesetzgebung an die Wirkung — den Zins — ansetzte, und nicht an die Ursache — die Arbeits-und-Besitzverhaltnisse — an auch positiv-rechtliche Verhältnisse, welche schliesslich doch dem Kapital eine factische Productivitset gaben, die nun, da sie einmal bestand, allerdings in nicht mehr positivrechtlicher, sondern naturgemasser Weise den Zins gebar » (Rudolf Meyer, Der Kapilalismus fin-de-siècle, 1892, p. 29).