Aller au contenu

Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les aloue plus hault pris… de ce sensuivent doncques diminucions de matières et forger monnoie au Royaume ou pays ou l’on fait empirances[1]. »

Cette dernière idée pénétrait alors dans l’opinion. Quand on ne sait pas « ajuster l’or et l’argent », disent les mémoires de cette époque, « tantôt l’argent mange l’or et tantôt l’or mange l’argent ». Il n’y a donc pas à s’étonner qu’en 1412, quelques années après ce règne de Charles V, auprès duquel Oresme avait exercé une si heureuse influence, l’Université de Paris se soit plainte en corps au roi Charles VI de ce que, par l’effet des diminutions du titre, « la bonne monnaie était expulsée, grâce aux changes et aux Lombards, qui cueillaient tout le bon or et qui faisaient paiement de mauvaise monnaie ».

On voit donc par ce qui précède combien est fausse l’appellation de loi de Gresham, qui est communément donnée à ce phénomène de la sortie de la bonne monnaie, expulsée par la mauvaise. C’est l’Anglais Mac-Leod qui a vulgarisé cette expression, il y a moins d’un siècle ; mais s’il est vrai que sir Thomas Gresham (1519-1579) ait appelé sur ce point l’attention de la reine Elisabeth, il n’en est pas moins vrai que le phénomène lui-même, avec la régularité qui fait de lui une loi économique, avait été connu et analysé en France plus de deux siècles auparavant. Même alors il y avait dix-sept cents ans qu’Aristophane en avait fait la remarque dans ses Grenouilles. Il nous semble que les économistes français, par respect de l’histoire autant que par amour-propre national, se seraient dû à eux-mêmes de protester contre cette erreur et d’abandonner tout les premiers l’expression qui la consacrait.

  1. Op. cit., ch. XX, p. LIX.