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Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/87

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la période médiévale, ce soit précisément la manière dont l’idée y précède et y façonne le fait[1] » ?

Nous ne le croyons point. Non seulement, en effet, ainsi que nous l’avons vu, les grands penseurs de ces temps là ne fixaient leur esprit que sur les concepts les plus universels, comme s’ils avaient mis à l’étude de la nature et de ses lois d’autant moins de soins qu’ils en apportaient davantage à la solution des problèmes les plus ardus de la théologie et de la métaphysique ; mais encore, par les années où ils vivaient, c’est à peine s’ils étaient les derniers contemporains des institutions les plus caractéristiques de leur âge, bien loin qu’ils eussent pu en être les initiateurs ou les pères. De même donc que saint Louis, regardé par Joinville comme un attardé dans un siècle qui ne le valait plus et qui ne pouvait déjà plus comprendre l’ardeur de sa foi, ainsi saint Thomas clôt ou suit la période la plus brillante et la plus originale du moyen âge, au lieu de l’avoir lui-même formée par ses leçons. Il peut en être, dans l’ordre de la science religieuse, le produit le plus élevé et le plus complet : mais dans l’ordre économique et social surtout, bien plus encore que dans tous les autres, il n’en est point le facteur. Le moyen âge s’était fait tout seul ; ses institutions lui avaient été spontanées et instinctives ; il avait été quelque chose comme l’organisation irréfléchie de ce qui, après l’invasion des barbares, aurait dû n’être qu’anarchie ; mais il n’avait pas été — comme la Révolution française par exemple — une architecture qui, dessinée alors dans les traités de théologie comme l’autre le fut plus tard dans les salons et les académies, aurait été réalisée après coup dans les rapports sociaux.

Tout au contraire, après la scolastique du XIIIe siècle, c’est le sens de la chrétienté qui va se perdre ; c’est la féodalité qui s’achemine à son déclin ; c’est le pouvoir royal qui

  1. De Girard, Histoire de l’économie sociale jusqu’à la fin du XVIe siècle, p. 39.