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Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/130

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pour ces millions de réprouvés qu’il condamnait à gémir éternellement pour la plus grande gloire de Dieu. J’ai cherché dans ses ouvrages l’expression d’un regret, et je n’ai pas su la trouver. Il crut donc que la moitié de l’humanité est prédestinée à des souffrances sans fin dans le séjour des remords inutiles ; il crut que ses parents, ses amis, peut-être, le quitteraient pour aller prendre leur rang parmi les réprouvés ; il crut qu’il pourrait goûter loin d’eux des félicités inaltérables ; il crut à une lutte éternelle du mal et du bien, du ciel et de l’enfer ; il crut que Dieu n’a fait multiplier les enfants d’Adam que pour multiplier aussi les légions de Satan, et il le crut sans en souffrir ! Je conçois que l’on veuille voir dans l’Evangile cette lugubre doctrine ; je conçois que des âmes douces et tendres fassent effort pour l’accepter ; mais l’embrasser sans se faire violence à soi-même, sans une sorte de révolte intérieure, s’habituer à ce triste dénouement de tout ce qui se commence sur la terre, comme à la chose du monde la plus naturelle, que dis-je ? trouver à cette doctrine je ne sais quel cruel plaisir, l’estimer douce et savoureuse, voilà, j’en appelle à quiconque a un cœur d’homme, voilà ce qui n’est pas humain ; voilà ce que le cœur et la conscience reppussent également ! Calvin s’en est montré capable ; aussi n’est-il pas étonnant que le nom de ce grand homme excite l’admiration sans éveiller la sympathie.

1857.