Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/256

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ce qui est trop évident ; on voit M. Sainte-Beuve se faisant la main, et c’est là, pour le dire en passant, ce qui le distinguera toujours de Voltaire, dont il a fini par rappeler l’abondance et la facilité. Voltaire n’a pas fait cet apprentissage ; sa plume naquit légère, et dès le premier jour il fut le plus alerte des écrivains français. Mais qui dit acquis ne dit pas nécessairement factice ; l’éducation est nature aussi, et peut-être n’y a-t-il rien de plus remarquable dans l’histoire du style de M. Sainte-Beuve que cet art qui s’efface et ces qualités cherchées qui finissent par couler de source. Et à supposer même qu’il restât çà et là quelque trace de la tension première, le spirituel critique aurait toujours pour excuse la richesse de la pensée moderne, pensée à mille faces. Personne n’admire et ne goûte plus que moi le facile mouvement et la transparence de Voltaire. Il n’en est pas moins vrai qu’il y a quelque pauvreté relative dans cette phrase courte et juste, qui serre à la taille une pensée dégourdie. Venant aujourd’hui, s’il est possible de concevoir de semblables transpositions, le style de Voltaire perdrait la moitié de sa valeur. Il n’est parfait qu’en son temps et en son lieu, adapté à la vie intellectuelle du XVIIIe siècle, dont il réfléchit les qualités et les défauts, la hardiesse, la légèreté, et cette vivacité d’un bon sens un peu étroit, volontiers persiffleur, que l’épicuréisme accompagne, et qui y va sans scrupules,