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Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/320

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Ils se meuvent aux deux extrémités d’une ligne continue, et l’on peut passer de l’un à l’autre. Qu’est-ce que M. Renan reproche par dessus tout à Béranger ? Ce qu’il appelle la gaucherie de l’esprit français en présence de l’infini. Si ce n’est que cela, il s’y fera, lui ou ses successeurs. La maladresse souvent est inexpérience. Vainement M. Renan le déclare fermé à toute nuance un peu déliée. S’il l’est, c’est que la vie est trop courte. Vingt ou trente ans d’école, dix ans de réflexion consciente et de progrès spontané, dix ans où l’on est soi-même, dix ans encore où l’on vit de ses restes en attendant l’inévitable déclin : voilà, pour les heureux, le bilan de la vie humaine. Au lieu d’une vie, mettez-en deux ou trois, et la distance qui sépare Béranger de M. Renan sera franchie à moitié. Les traces de progrès abondent chez Béranger. Comptez-vous pour rien son précoce désenchantement ? S’il n’en a pas profité pour commencer une nouvelle carrière, c’est que l’âge était venu ; mais son point d’arrivée sera pour d’autres un point de départ. Ses successeurs seront moins assidus à l’autel de la gloire. Ils commenceront à comprendre que la liberté ne consiste pas uniquement à narguer les rois et à médire des prêtres. Comptez-vous pour rien le dégoût qui le prit, lui aussi, de la brutale voix du tambour et des alignements au cordeau ? N’a-t-il pas fini par rendre hommage à la vraie originalité ?