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Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/415

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haute critique philosophique qui cherche les raisons profondes des choses, l’enchaînement des causes aux effets, le pourquoi des révolutions du goût. Mais ceci nous mènerait loin, et je ne parle en ce moment que de la critique courante, dont la fonction est d’apprécier le mérite des œuvres littéraires. Cette critique courante, dont les maîtres de littérature ont coutume de se réserver le monopole, suppose une comparaison perpétuelle entre l’œuvre à juger et un certain modèle, un idéal vu ou entrevu. Or cette comparaison sera d’autant plus fructueuse, elle produira une critique d’autant plus parfaite, que l’idéal sera plus clairement conçu. Concevoir un idéal, c’est déjà l’aimer ; le comprendre, c’est en être saisi. Plus on en est saisi, plus on est près de l’exprimer soi-même, non-seulement par des conseils et des formules, mais par une représentation vivante, par une création. C’est la règle ; de l’âme le mouvement se communique à l’imagination. Il suit de là que le plus grand critique d’une époque doit en être le plus grand poëte, et vice-versa. Dans l’état de perfection, ces deux fonctions seraient toujours réunies ; elles ne sont séparées que par la misérable condition de notre espèce, qui condamne tout homme à n’être jamais qu’une fraction d’homme.

La distance est donc grande du réel à l’idéal ; néanmoins ils s’écartent plus qu’ils ne se contredisent, et il y a des moments dans l’histoire où ce qui est