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Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/425

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est faite. Réduite à ses seules lumières, la critique n’irait pas bien loin. Elle ne se serait jamais fait une idée précise de ce qui manque au vers racinien sans le poète qui a créé un autre vers, et donné par là un point de comparaison. Le vrai critique n’est pas celui qui vient après coup, comme nous le faisons aujourd’hui, constater les différences ; le vrai critique est le poète qui a créé le point de comparaison, et qui ne l’aurait pas créé s’il n’avait pas senti plus vivement que tout autre l’insuffisance du premier idéal. Même en critique, c’est le poëte qui est le révélateur.

Quelle est donc la fonction de celui qu’on appelle ordinairement le critique ?

Elle est nulle, à moins qu’il ne fasse, lui aussi, œuvre d’art et de poésie.

D’abord, le critique lit et tâche de comprendre.

S’il y parvient, il a déjà fait œuvre de poésie. Les mots que nous lisons ne font que donner le branle à notre esprit, montrer l’idée ; il reste à la voir, et nous ne la voyons que par une opération, à laquelle nous sommes sollicités sans doute, mais que nul ne peut faire à notre place. Comprendre, c’est penser pour soi ce qu’un autre a pensé avant nous et le penser avec la même intensité que lui. Celui-là n’a pas compris, qui n’a pas senti courir dans ses veines le frisson créateur, et qui ne s’est pas cent fois frappé le front en s’échant : « C’est moi qui ai écrit cette