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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/131

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LE RAISIN VERT

attentif pouvait discerner les bleus sourds des ardoises, les mauves métalliques qui se jouent sur le poitrail des pigeons et tout le prisme des nuances qui composent la gamme infinie des gris. On les voyait ici en mouvement, fugace arc-en ciel irisant la surface morne, et Laurent les pourchassait avec allégresse.

Il avait oublié les angoisses et les répugnances de ce dernier printemps, lorsque, se tournant vers le ciel et tâchant d’invoquer le symbole de la pureté, il bronchait au milieu de l’Ave Maria sur le mot « entrailles » et sentait sa gorge se soulever de dégoût.

La mer, le vent, le soleil ont balayé ses phobies. Paisible, attentif, Laurent cligne des yeux vers les lointains mauves et son pinceau barbotte gaiement dans le godet d’aquarelle.

— Tu es là, mon garçon ? J’ai deux mots à te dire.

Fût-il bien disposé, M. Durras ne pourrait le rester devant cet obscurcissement du regard qui s’est levé sur lui et qui attend ses paroles avec une inexprimable méfiance.

— Qu’est-ce que tu as raconté tout à l’heure à la petite Le Cloarec ? Que s’est-il passé entre vous, hein, dis un peu ?

Laurent fronça les sourcils :

— Le crabe ? C’est une horreur. Je l’ai fait filer. Je ne veux pas qu’elle joue avec Lise, le vice lui sort par la peau.

— Vraiment ? dit M. Durras. Tu m’as l’air bien renseigné, pour un garçon de ton âge. Enfin, je ne tiens pas à savoir ce qui a pu se passer entre elle et toi, mais je tiens à t’avertir que je ne tolérerai pas tes sales fantaisies, et encore moins, de subir des avanies à cause de toi de la part d’une femelle stupide. Mme Le Cloarec m’a fait une sortie insensée, à laquelle je n’ai rien trouvé à répondre, parce qu’elle était dans son droit et que j’étais dans mon tort. J’ai le tort d’être le père d’un garçon tel que toi et j’en suis assez malheu-