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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/169

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LE RAISIN VERT

— Chic anglais, chic anglais… chantonna Lise en regardant le plafond. Tout du prince de Galles !

Son frère se lança à sa poursuite, tandis qu’elle s’échappait d’un bond et se réfugiait dans la salle à manger où Isabelle mit son fils en déroute à coups de serviette en l’appelant « sale homme ».

— Que ce garçon est odieux ! confia M. Durras au Corbiau. Sa sœur commence à s’en apercevoir, maintenant qu’elle a son jugement.

Le Corbiau regarda son oncle sans répondre. Vivrait-il donc toujours à côté d’eux sans rien comprendre à leurs rapports ? Était-il à ce point exclu de la symbiose, lui dont le sang coulait dans les veines de Lise et de Laurent ?

Le déjeuner fut très gai. Lise racontait la leçon de danse et promettait à sa mère de lui apprendre, le soir même, les figures de tango qu’elle mimait avec ses doigts sur la nappe. Isabelle opinait en riant. On voyait bien que le même feu les animait toutes les deux à des âges différents, la même confiance dans les lendemains heureux.

M. Durras les regardait avec étonnement.

Parfois, lorsque le rire de Lise éclatait sous une poussée d’allégresse, les prunelles bleues d’Amédée s’éclairaient d’un sourire fugitif, comme un faible reflet de cette joie qu’il avait engendrée et qu’Isabelle avait dû jusqu’alors protéger contre lui.

Laurent, seul, ne riait ni ne souriait. Son œil sarrasin devenait de plus en plus sombre et la contraction de ses mâchoires semblait trahir une vraie souffrance, tandis qu’il écoutait sa mère et sa sœur discuter des charmes comparés de la media-luna et des ciseaux.

Entre les deux clans, une âme poreuse allait et venait et, s’identifiant tour à tour à chacun, ne savait plus discerner ses propres limites.