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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/17

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V
prologue

Auvergne avaient singulièrement favorisé sa tendance à l’abstraction. En ce moment encore, elle voyait bien qu’il poursuivait une sorte de rêve négatif, écartant de sa pensée les soucis de l’installation, les dépenses à engager pour l’instruction des enfants et d’une manière générale tout ce qui concernait sa famille. Était-ce pour favoriser sa concentration intellectuelle qu’il s’isolait ainsi ? On aurait pu le croire, mais au contraire, plus il fuyait la réalité, plus il s’enfonçait dans l’inaction. Ses travaux de géologue, les livres, les articles qui lui avaient valu une certaine notoriété dans les milieux savants, peut-être cela même, auquel il semblait tenir uniquement, lui était-il moins cher que cette paresse totale de la conscience. Et Isabelle pliait les épaules en songeant que, quotidiennement, leur vie durant, il lui faudrait arracher cet homme à l’enlisement du vouloir-vivre, lui disputer pied à pied le sort des enfants et quotidiennement supporter le poids de sa rancune.

La clarté du crépuscule se dorait. Elle alluma la chevalière d’Amédée au petit doigt de sa main longue et blanche, agitée d’un léger tremblement nerveux, renforça de jaune la robe champagne d’Isabelle, étendit de fugitifs glacis roux, là où sa chevelure couleur de truffe avait consenti à se laisser ordonner en coques lisses. Des regards acérés accusaient d’imposture l’apparence de respectabilité sociale de la bohémienne, sa robe sagement boutonnée jusqu’au menton, son alliance d’or.

Le tuyau d’arrosage, abandonné à lui-même, fuse horizontalement sur la pelouse. Lise essaie de séduire le célibataire ami des chiens qui déteste les enfants. Elle y parviendrait peut-être s’il n’y avait que le célibataire, mais le fox-terrier du célibataire est irréductible. La Zagourette renonce, gare ses mollets sur le plus haut barreau de sa chaise et se retourne vers le Corbiau, qui allonge ses deux avant-bras sur la