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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/184

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LE RAISIN VERT

lasse s’incline sur sa poitrine et c’est ainsi que Laurent la trouve en accostant au ponton, une demi-heure plus tard. Debout, appuyée au rebord de bois de l’embarcadère, elle paraît sommeiller.

— Qu’est-ce que tu fais là ? Tu dors ? Tu rêves ? Tu es malade ?

Elle relève la tête, ouvre les yeux :

— Ah ! c’est toi. Non, je ne suis pas malade. Je me repose.

Debout dans la barque, il lui jette de bas en haut un regard qui s’attarde, devine et renonce à savoir ce qu’il a deviné.

Jamais elle n’aura assez de reconnaissance à Laurent pour tout ce qu’il a compris d’elle et qu’il a fait semblant d’ignorer.

— Tiens, dit-elle, j’avais pris du pain bis et des prunes pour mon goûter. Mange, tu n’as pas déjeuné. En voilà une idée d’aller faire le tour du lac en canot par temps de bise !

Laurent dévore à belles dents. Pâle, creusé, une fine sueur autour du nez, il a l’air de sortir d’un long combat.

La joie de le revoir, victorieux, ouvre une brèche à l’émotion jusque-là tenue en respect. L’être intérieur tente de fuir devant la marée montante, s’immobilise désespérément comme dans les rêves et au moment où il va être rejoint, accueille avec bonheur une de ces syncopes qui terrassent fréquemment, à l’âge de la puberté, les jeunes filles affligées d’une mauvaise circulation.