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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/196

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LE RAISIN VERT

pouces traînait languissamment dans la poussière de craie sa tête horizontale et son ventre pavé de gris-perle.

C’était un orvet de la forêt des Ardennes qu’Emmanuelle avait emporté dans son corsage en fuyant devant l’invasion allemande. Elle employait le même système pour le conduire au lycée. Pendant les heures de classe, l’orvet sommeillait, lové entre chemise et peau. Dès qu’elle était libre, Emmanuelle le sortait de sa retraite et l’éveillait en lui taquinant le menton.

— Il ne se porte pas bien depuis quelque temps, soupira-t-elle. Paris ne lui réussit pas du tout. À moi non plus d’ailleurs.

Le Corbiau remarqua négligemment :

— C’est gentil pour moi, ce que tu dis là.

— Oh ! chérie, s’écria Emmanuelle en rejetant la tête en arrière, mais je ne pensais pas à toi, voyons ! J’aime Paris à cause de toi, mais j’aimerais mieux être ailleurs, avec toi. Et puis, même si tu n’étais pas là, je penserais à toi la même chose. Ne prends pas ton sourire chinois. C’est la vérité.

— Bon, dit le Corbiau. Travaillons. Je t’ai préparé deux petits problèmes…

— Quel chou ! s’écria Emmanuelle en lui passant le bras autour du cou. Qu’est-ce que je deviendrais sans toi, ma biche ?

— Deux petits problèmes sur les volumes. Pas ennuyeux du tout, tu verras.

— Les volumes…, répéta la voix triomphale. Vous entendez, mon fils ? Deux problèmes sur les volumes. Croyez-vous qu’elle est savante ?

— Si tu parles tout le temps à ton orvet, dit le Corbiau d’un air sévère, tu n’écouteras rien. Laisse le tranquille et regarde ce que j’écris au tableau. J’énonce le premier problème : « Étant donné un cylindre de 8 centimètres de diamètre… »

Emmanuelle posa sa petite patte de sauvageon sur la main qui tenait la craie :