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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/201

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LE RAISIN VERT

Cela, c’était son jeu à elle.

Lorsqu’elle arrivait seule au vestiaire, elle se tenait un moment debout à l’entrée, sur le haut des marches, respirant avec volupté le silence particulier des étoffes et la présence inerte de tous ces vêtements suspendus qui attendaient des corps pour redevenir la peau extérieure d’une personne.

L’atmosphère de ce lieu vibrait en elle comme un son continu, prolongé par la pédale sourde. Encore un peu d’immobilité et les phantasmes allaient s’élever de son sang bourdonnant, non point hallucinations, car l’espace extérieur ne se peuplait d’aucune figure, mais créations mentales qu’il lui plaisait de situer fictivement hors d’elle-même en les supposant libres, alors qu’elle demeurait maîtresse de leurs faits et gestes. Mais le jeu exigeait qu’elle oubliât son pouvoir.

Tout à coup elle descendait vivement les marches et se dirigeait vers le fond du vestiaire.

C’était là que Henri Heine venait d’apparaître invisiblement, avec l’expression fine et souffrante de son visage qui surmontait une cravate de mousseline aux plis romantiques.

Lise plongeait devant lui dans une gracieuse révérence :

Guten Tag, lieber Herr. Wie gehen Sie heute[1] ?

Ces mots n’étaient pas prononcés tout haut. Ils retentissaient en elle, avec le son de sa propre voix. C’est là aussi qu’elle percevait la réponse d’une voix grave, au timbre doux et voilà :

Guten Tag, Madchen. Was fur eine blonde, niedrige Schülerin bist du, mein Kind[2] !

Et tous deux s’asseyaient sur la planche aux para-

  1. Bonjour, cher monsieur. Comment allez-vous aujourd’hui ?
  2. Bonjour, fillette. Quelle blonde, mignonne écolière tu es, mon enfant !