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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/260

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LE RAISIN VERT

parnasse. Il y a là-bas une foultitude d’espèces animales qui sont des plus rigolotes à voir s’agiter.

Le Corbiau le regarda s’éloigner, flegmatique, les mains dans les poches, un pli de raillerie marquant les coins de sa bouche épaisse et bonne.

« Délivré, se disait-elle, mais encore entre le soleil et l’ombre. Aucune raison d’aller ici plutôt que là. Il attend. Nous attendons tous quelque chose. Mais quoi ? »

Jacques Henry s’était éloigné. Elle poussa un soupir d’aise en le voyant danser avec une ravissante brunette aux yeux étoilés, étudiante au P. C. N. et qui paraissait l’apprécier à sa valeur.

« Et maintenant, se dit-elle, cette nuit est à moi, vraiment. Je suis très contente d’être ici, pourvu qu’on ne m’oblige pas à danser ni à parler. »

Les couples se séparaient, renvoyés dos à dos par un coup de grosse caisse. Lise vint s’abattre auprès de sa cousine, riante, essoufflée.

— Écoute, écoute… Quelque chose d’inouï. Je viens de danser avec Érik, le petit Suédois qui a un pied à Montparnasse et l’autre aux Beaux-Arts et qui est entre les deux comme l’âne de Buridan. Il est adorable, ce garçon. Je ne connais rien de plus attendrissant que ses yeux bleus, ces deux petites gouttes de ciel dans son visage de jeune fille.

« Alors, je dis à Érik : « Cher homme du Nord, racontez-moi une petite histoire pour les enfants sages. » Et il me raconte ce petit conte d’Andersen, style 1919, qui lui est arrivé à lui-même la semaine dernière. Attends que je retrouve l’accent, sans quoi tu perdras le plus joli.

Elle se recueillit un instant, et commença, en scandant ses paroles, sur un ton guttural et naïf :

— J’étais donc dans la fichue mouise, chère amie, s’il faut vous dire. Alors, Vânia, une jeune fille peintre de la Coupole, qu’elle est yougo-slave, me dit : « Tu ne sais pas te débrouiller. Tu me fais peine. Pourquoi