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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/275

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LE RAISIN VERT

en particulier me fait l’effet d’une infidélité générale. Peux-tu comprendre cela ?

— Non, dit Cassandre, ouvrant pensivement ses beaux yeux. Absolument pas. Moi, c’est seulement quand j’aime un homme en particulier que j’aime tout.

Une heure plus tard, Lise l’ayant quittée pour aller assister à un cours, Cassandre descendait le boulevard Saint-Michel, balançant les hanches, heureuse de vivre et contente de sa toilette qui sentait Montmartre, sa patrie retrouvée.

Sa robe de crêpe satin bleu vif, d’une contexture si mince qu’elle révélait tous les détails de sa poitrine, découvrait aussi ses genoux nerveux, gainés de soie grise. Brodée de fils d’or au corsage et ceinte au-dessous de la taille d’une ceinture tressée d’or et d’argent, c’était une robe faite pour briller trois semaines sous les lumières d’un dancing et terminer ses jours sous forme de coussin défraîchi, dans un entresol meublé à la turque. Là-dessus, Cassandre avait jeté un boa de plumes blanches qui réalisait, sans souci de la mode, une des ambitions de son enfance sans mère et sans coquetterie.

Ainsi promenait-elle son corps antique, ses épaules droites, ses hanches développées en corbeille et sa belle tête aux larges méplats, toujours couronnée d’une tresse rousse dont l’épaisseur repoussait en l’air son grand chapeau de paille gris argent.

Les regards des hommes qui la croisaient se méprenaient visiblement sur les intentions de cette parade vestimentaire. « Mais enfin, songeait-elle, est-ce que tous les hommes sont devenus des pourceaux ? Ou serait-ce que toutes les femmes sont devenues des grues ? » Et elle les toisait d’un œil fier, où éclatait victorieusement cette sincérité qui était la grande