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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/280

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LE RAISIN VERT

doute y avait-il dans le visage de cet inconnu quelque chose qui plut à l’enfant. La passion fixe et douloureuse, qui le tenait fasciné comme un oiseau par un phare, céda sous un flot de curiosité puérile, et le petit, se penchant en avant, commença d’explorer de la main le visage du jeune homme.

Laurent arrêta doucement sous la sienne cette petite main, molle et sensible comme une créature marine, qui s’avançait à la découverte de son nez. Il la prit, la retourna, considéra un moment la paume tendre, et là, au creux des plis où certains prétendent lire le grimoire d’une destinée, il appuya ses lèvres, qui remuaient comme s’il avait parlé tout bas. Puis il replia un à un les petits doigts sur le message et rendit à l’enfant sa main fermée.

— Pour elle, qui reste sourde. Pour lui, qui a tout pris. Pour la haine qui va faire de toi, si beau, un mauvais garçon. Pour la chute de ton grand amour quand le sang te roulera dans ses marées et que tu voudras tout détruire. Pour l’aide que j’ai reçue à ce moment-là et qui te sera refusée. Pour les bras qui m’ont été ouverts et qui te sont fermés. Pour la main qui te repousse et qui m’a été tant de fois tendue et tant de fois m’a sauvé, je t’aime, petiot, pauvre petiot tout seul, mon petit garçon inconnu. Que n’es-tu à moi ! On se comprendrait tous les deux. Du moins, s’il me vient un jour un enfant, il saura ce que c’est que d’avoir un père. Et je crois que je saurai le protéger de tout. Allons, adieu, mon petit homme.

L’enfant le suivit des yeux tandis qu’il se levait et gagnait la porte. En passant à côté de la jeune femme, Laurent lui dit d’un ton bref : « Madame, vous avez une place assise à côté de votre enfant. » Elle lui jeta un regard hautain et surpris, et, se retournant vers son compagnon, lui murmura en souriant à demi : « Que me veut-il, celui-là ? »

Au sortir des gouffres du métro, l’air du dehors,