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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/86

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LE RAISIN VERT

plus le silence enfantin, perméable. Ce silence-là se défendait, repoussait la protection.

Du côté de Laurent, c’était la détente après l’orage. Il pleurait silencieusement dans un coin du fiacre. Du côté de M. Durras, la stupeur. Les choses, pour cette fois, n’iraient pas plus loin.

Cependant Laurent remâchait encore le regret de n’avoir pas châtié suffisamment cette fille insolente. Et Amédée cherchait dans sa mémoire, pour le raviver, le souvenir de cette seconde où le parfum de Nina était monté vers lui, par le chaud couloir d’entre les seins. C’était là le seul point lumineux de cette sombre journée.

Lise regardait par la vitre du fiacre les réverbères cernés d’un halo roux et, sur le pavé, ces lueurs délayées, ce miroitement gras de l’hiver lustrant la chaussée noire, comme un pelage de monstre. Elle se rencoigna dans le fond de la voiture en frissonnant. Ah ! l’affreuse journée ! Pourquoi avait-elle traîné son père à ce bal ?

Affreuse ? Ou merveilleuse ?

Tant d’heureux moments, et cette grande vague qui l’avait soulevée, quand elle était sur la table, ce feu d’artifice intérieur… Oui, elle avait bien fait d’emmener son père au bal.

Mais cette abominable scène avec Nina… Non, elle avait mal fait.

Avait-elle bien fait ? Avait-elle mal fait ? Fatiguée, elle renonça à éclaircir la question et, fermant les yeux, se mit à compter machinalement des cadences.

Le cheval harassé trottait mou, le fiacre cahotait en grinçant, Lise avait froid aux pieds, à travers ses cothurnes mouillés, et chaud à la tête.

Et voici que des mots se formèrent et s’assemblèrent tout seuls selon la cadence qu’elle venait de dénombrer. Et leur assemblage fournissait la réponse