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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/95

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LE RAISIN VERT

tantôt en « jeune fille », sans précision, et qui prenait des airs de martyre chaque fois qu’on lui essayait une robe appropriée à son âge, c’était là déjà un motif de préoccupation, non pas pour les caprices eux-mêmes, dont Isabelle ne faisait que sourire, mais pour la tendance qu’ils révélaient et que la femme d’Amédée Durras avait appris à craindre.

— Ô guenichon ! s’écriait-elle parfois en regardant sa fille d’un air accablé et véhément, que tu m’en fais voir !

Et Lise répliquait avec la logique imperturbable des rêveurs :

— Tu te plains de moi parce que je suis insupportable et difficile à contenter. Et tu soupires parce que le Corbiau est trop sage et qu’elle ne demande jamais rien. Il me semble que tu n’es pas facile à contenter non plus, entre nous.

En effet, bien souvent, Isabelle prenait à deux mains le visage de la petite Anne-Marie et, la regardant du fond de l’âme, laissait parler tout haut sa tendre anxiété :

— Mon Corbiau… Mon Corbiau gentil, que fais-tu ? À quoi penses-tu ? Tu es là, tu ne dis rien, tu regardes tout avec tes grands yeux, tu as l’air d’un petit hibou apprivoisé qui volerait sans bruit d’une pièce à l’autre, et quand on ne le voit plus, on se dit : « Où est-il ? Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé ! »

« Tu es trop sage, mon Corbiau, tu me fais peur. Je t’en prie, mets-toi en colère, casse une assiette de Chine, dis-moi zut, ma petite, ma petite… »

Et tout en parlant, elle serrait contre elle cette enfant qui n’était pas née de ses flancs mais à qui l’unissaient tous les liens de l’âme. Elle la serrait entre ses bras, comme si on avait voulu la lui prendre. Et la petite, immobile et silencieuse, laissait descendre sur son visage ce lent sourire qui naissait de ses paupières étirées.