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Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/99

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LE RAISIN VERT

vent apportait l’odeur des acacias, par-dessus les jardins plantés de lilas et de marronniers. Une lampe s’allumait derrière une fenêtre du petit hôtel d’en face, illuminant son abat-jour de soie claire et les mains d’une vieille dame qui faisait du crochet.

Tout était calme aussi dans la maison. Les enfants chantaient en chœur avec Marie, au fond de la cuisine :

C’est la valse brune Des chevaliers de la lune…

Amédée griffonnait dans son bureau, penché sur des chiffres. Une famille heureuse. La vie quotidienne.

Mais Isabelle scrutait la nuit, de ses petites prunelles perspicaces logées dans de grandes orbites, sous des sourcils en pont chinois, et ses mains étreignaient la barre d’appui, comme celles du pilote au gouvernail, quand le vaisseau donne de la bande.

Vers la fin du mois, Mme Durras demanda à son mari s’il avait pris des dispositions pour les vacances.

— Nous avons tous besoin de changer d’air, dit-elle avec un regard appuyé. Je crois qu’un séjour à la montagne remettrait bien des choses en place.

Ce ton, ce regard causèrent à M. Durras un singulier malaise. Il y fut d’autant plus sensible que les débours secrets de ce dernier trimestre ne lui permettaient pas d’engager de nouvelles dépenses. Aussi, prenant les devants, répliqua-t-il d’un ton bref que l’éducation des enfants coûtait trop cher pour que l’on pût encore se payer un séjour à la montagne.

— Vous voulez donc que nous passions tout l’été ici ? s’écria Isabelle.

— Je ne veux rien, dit Amédée. Je ne peux pas. Non possumus, comprenez-vous ? L’année prochaine,