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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/10

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LA MAISON DES BORIES

C’était ce mouvement d’oiseau malade, hivernal et contemplatif qui l’avait fait surnommer Corbiau Gentil, comme dans cette histoire que racontait Isabelle, où il était question d’un corbeau apprivoisé qui avait pris froid un matin d’hiver et se tenait tristement perché sur le barreau d’une chaise dans la salle de la ferme, — et son maître lui demandait, avec l’accent morvandiau :

— Mâ, quoi donc qu’t’ais, mon Corbiau Gentil ?

Et le Corbiau répondait d’une grosse voix enrhumée et morvandelle :

— Jô seûs mailaide…


« L’oncle Amédée allait-il, oui ou non, répondre à cette lettre ? C’était tout de même malheureux de ne pouvoir lui dire, tout simplement : « Oncle Amédée, je vous en prie, ne répondez pas à cette lettre, » Mais avec l’oncle Amédée, rien n’était simple. Il fallait toujours prendre des précautions inouïes pour lui parler, car on ne savait jamais ce qu’une chose, qui vous paraissait simple et inoffensive, pouvait devenir dans son esprit. Avec Isabelle, c’était exactement le contraire : tout ce qui vous paraissait compliqué et menaçant devenait simple et inoffensif lorsqu’on lui en parlait. Mais on ne pouvait pas toujours tout lui dire, même à elle, surtout à elle, parce qu’on l’aimait tant.

« Il y avait de ces choses qui se refusaient à la parole. Quand même on aurait ouvert la bouche et remué la langue pour s’obliger à former des mots, les mots n’auraient pas voulu sortir, ou bien ils auraient dit tout autre chose que ce à quoi l’on pensait. Par exemple, au lieu de dire :

— Ma Belle-Jolie, si maman voulait me reprendre, j’aimerais mieux mourir, tu entends ? manger des graines de pavot pour me faire mourir…

On aurait dit quelque chose comme ça :