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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/110

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LA MAISON DES BORIES

qués sur Isabelle qui les gouvernait par signes imperceptibles, désignant du bout des cils le morceau qu’ils devaient prendre dans le plat présenté par Ludovic, arrêtant d’un frémissement des sourcils un geste malheureux ou récompensant leur tenue exemplaire par un sourire à lèvres fermées, onde plutôt que sourire, qui parcourait son visage sans qu’un muscle bougeât, aussi rapide et immatérielle que l’ombre d’un vol d’oiseau sur un pré ensoleillé. Mais eux, sans rien dire, captaient cette onde à pleines prunelles et s’épanouissaient de bonheur jusqu’aux orteils.

Dès le début du déjeuner, Carl-Stéphane Kürstedt sembla fasciné par cette espèce d’orchestration magnétique. Le regard de ses petits yeux bleus, enfoncés et brillants comme deux gouttelettes d’eau pure, allait et venait d’Isabelle aux enfants avec une expression de curiosité amusée. Il avait l’air d’un chat qui suit de son coin de feu le vol d’une guêpe dans une pièce fermée. Mais comme il était placé à la droite de Mme Durras, il n’osait achever son mouvement pour la regarder en face et restait un moment le cou tordu, le regard tiré vers le coin externe de l’œil, ce qui lui donnait une étrange figure, si bien qu’une ou deux fois le diapason de la voix de M. Durras, qui parlait tout seul avec une aisance admirable, s’éleva légèrement en signe d’étonnement ou d’impatience. Isabelle en eut chaud aux oreilles et dirigea immédiatement vers l’orateur un mouvement convergent qui le rétablit au centre de l’attention.

Les enfants l’écoutaient d’ailleurs avec émerveillement, très fiers de produire devant l’étranger un père et un oncle aussi « calé », qui parlait comme un livre, avec points, virgules, parenthèses et guillemets et des mots inconnus et splendides. Il décrivait la surrection des volcans de l’Auvergne, des millions d’années auparavant, et sans qu’il s’en doutât, ce qui n’était pour lui que connaissance redevenait