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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/12

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LA MAISON DES BORIES

c’était uniquement à cause de cela : parce qu’il y avait, d’un côté, Laurent et de l’autre, Amédée, — et, entre les deux, Isabelle…

« Et ce qu’il y avait de plus épouvantable au monde après les colères d’Amédée, c’était les colères de Laurent. On pouvait se demander comment Isabelle n’en sortait pas en pièces, elle qui était toujours entre les deux… Oui, on se demandait comment elle faisait pour avoir l’air aussi gai toujours, et même être véritablement gaie et s’amuser avec ses Carabis comme personne ne savait s’amuser. Quand elle faisait la mère grenouille, par exemple, en sautant sur le plancher et se servant de ses mains comme de pattes, il y avait de quoi s’asphyxier à force de rire. On se demandait comment elle faisait, mais cela ne servait à rien de se le demander, car on aurait pu passer des après-midi et des après-midi dans la maison du champ de seigle sans arriver à découvrir les secrets d’Isabelle, car Isabelle n’était pas quelqu’un comme tout le monde et l’oncle Amédée le lui reprochait assez.

« Il fallait bien qu’elle ne fût pas comme tout le monde pour savoir calmer Laurent comme elle le faisait, d’un mot, d’un geste ou rien qu’en le regardant, ce que personne, sauf elle, ne pouvait faire. Et il est bien vrai que Laurent se serait jeté au feu pour elle, mais on se rendait bien compte que c’était encore plus pénible pour lui de reprendre son calme quand il était en colère que de sauter d’un élan, houp ! dans le feu, — car le saut dans le feu n’est pas ce qu’il y a de plus difficile, ce qu’il y a de plus difficile, c’est d’y rester. Du moins on se l’imagine, puisqu’on n’a jamais sauté dans le feu. Et pourtant on l’aurait fait, tous, Laurent, la Zagourette et le Corbiau, si seulement Isabelle avait dit : « Sautez. » Mais on ne pouvait pas garantir qu’on y serait resté. Une seule chose était certaine : c’est qu’Isabelle y serait restée, elle, s’il l’avait fallu pour les sauver, eux. Ça, on en était sûr et peut-