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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/139

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LA MAISON DES BORIES

ballé, enflamme le cerveau. Bon. Mais ce n’est rien.

Je souffle ma bougie. L’édredon rouge disparaît. Je suis seul dans l’obscurité avec une odeur de vieille armoire, obsédante comme une présence. Lorsque mes yeux, accoutumés, me permettent de distinguer la place des meubles, je me mets à marcher de long en large dans ma chambre, les mains derrière le dos, en me retournant d’un mouvement raide et mécanique à chaque extrémité de ma promenade. J’avance ma lèvre inférieure, mordue et remordue pour la rendre plus sensible, j’oblige le sang à quitter peu à peu mon visage, refluant vers le cœur, toutes mes forces sont tendues pour esquisser l’ébauche d’une autre forme et je me sens comme un moule creux d’où se retire peu à peu la notion d’une personnalité définie.

Combien de temps cela dura-t-il ? Je ne sais. J’aurais pu marcher de long en large toute la nuit, il n’y avait aucune raison d’interrompre ce mouvement, une fois commencé. Je ne pensais à rien, autant qu’il m’en souvienne, ne percevais rien, sinon l’activité inorganique de ma lèvre inférieure, chaude, irriguée de sang et qui me reliait au monde sensible avec une avidité aveugle, une contractilité de protoplasme.

Peu à peu, un malaise m’envahit, le sentiment d’une menace planant autour de moi. L’inquiétude, l’angoisse, la solitude, un besoin affolé de défense à tout prix… Je tâtonne à la recherche d’une boîte d’allumettes, les mains glacées. La flamme jaillit, je reconnais mon visage dans la glace.

Tout à l’heure, était-ce moi qui avais peur ? ou lui ? Y a-t-il quelque chose qui me menace ? Ou n’est-ce qu’une angoisse nerveuse, née de ma rêverie du crépuscule, associée à l’obscurité et à une odeur de vieille armoire ?

21 juin. — Nous voici au Puy, Nous rentrons demain. M. D… très cordial, m’invite à passer en-