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LA MAISON DES BORIES

l’avait prise, le père qui était le cousin germain d’Isabelle étant mort presque tout de suite après. Supposez qu’il ait répondu à cette femme-là, lui qui n’aimait pas les enfants et qui trouvait, c’était visible, que les choses iraient bien mieux, s’il n’y avait pas d’enfant dans la maison, pas de Corbiau, pas de Zagourette ; pas de Laurent surtout, pas de Laurent ! et une Isabelle pour lui tout seul, supposez qu’il ait répondu à cette femme-là, qui était une « moins qu’une femelle », Isabelle l’avait dit, Laurent l’avait entendu et l’avait répété après Isabelle, — et c’était tout de même vexant de penser qu’on avait pour mère une « moins qu’une femelle », encore qu’on se moquât bien de ce qu’elle pouvait être en réalité pourvu qu’elle restât où elle était. — Supposez qu’il ait répondu à cette femme-là : « Vous pouvez venir la chercher si ça vous fait plaisir. Ça en fera toujours un de moins, bon sang de Dieu ! »

Ici l’inquiétude marqua un point d’orgue et l’esprit du Corbiau resta suspendu comme au sommet de la plus haute vague, avec une douleur d’angoisse au creux de l’estomac et la peur de regarder autour de soi. Heureusement qu’on était à l’abri dans la petite, si petite maison du champ de seigle… Et comme le courage lui manquait, la vague se dégonfla, s’aplatit et retourna insensiblement en arrière, jusqu’au souvenir précis, déjà vingt fois ressassé, d’où l’inquiétude s’élançait pour aller chaque fois de vague en vague, un peu plus loin.

Ce matin, elle était en train de jouer dans le jardin avec la Zagourette. Laurent était arrivé, tout émoustillé de curiosité, le nez en l’air et l’œil pétillant :

— Dis donc, Corbiau, ta mère a écrit. Elle est au Mexique, elle est mariée avec un homme que papa a connu au collège. Je l’ai entendu qui le disait à Sa Gentille et pis alors Sa Gentille a dit qu’elle avait pas besoin de jouer la comédie et de faire semblant