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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/169

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LA MAISON DES BORIES

qu’on aurait voulu le cacher à tous les yeux et qu’on ne pouvait vraiment penser à lui que dans la maison du champ de seigle.

« Comme il avait l’air grave et soucieux pendant le déjeuner ! Comme il regardait tout le monde, avec la mine de quelqu’un qui a quelque chose de très important à dire et qui ne dit rien… Évidemment, il ne pouvait pas leur dire qu’il avait trouvé le moyen de délivrer l’oncle Amédée de son mal et de les délivrer tous du même coup. Il ne pouvait pas dire une chose pareille, car supposez qu’il n’ait pas réussi comme il l’espérait… Évidemment, il réussirait, mais enfin, jusqu’au dernier moment, on n’est jamais tout à fait sûr que les choses réussissent, même quand on s’appelle Carl-Stéphane et qu’on a de si merveilleuses mains, des mains auprès desquelles toutes les autres mains ont l’air de pattes, — surtout certaine paire de mains noiraudes et griffées d’égratignures. On en avait honte de poser de pareilles mains dans ses longues mains blanches, mais c’était si bon d’avoir honte de cette manière-là qu’on aurait voulu avoir des mains encore plus vilaines pour rendre les siennes encore plus belles par comparaison et avoir encore un peu plus honte…

« Attention ! Qui vient là ? »

Le Corbiau jeta un coup d’œil inquiet au caillou qui fermait sa « maison » et s’aplatit sur le sol comme un lièvre. Les voix se rapprochaient. Une voix d’homme gutturale, un peu hésitante, au son de tambour voilé. Une voix de femme vive et claire, à la parole impétueuse.

— Je vous assure, donc… Cela est bien plus terrible que vous ne pouvez le supposer.

— Ne dramatisons pas. Inutile d’ajouter encore à la réalité. Et puis, cela ne sert à rien de gémir sur son sort. D’autant plus que les situations les plus pénibles deviennent supportables quand on a la faculté de les oublier vingt fois par jour.