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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/191

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XIII


Le plan de Carl-Stéphane comportait deux morts : celle de M. Durras et la sienne. Ainsi, pensait-il, son geste demeurerait pur. Il délivrerait tout le monde, — sa victime elle-même, engagée dans une impasse, exécuterait l’ordre du destin qui, durant ces huit derniers jours, avait parlé à sa conscience un langage impérieux et s’offrirait du même coup à cette justice supra-terrestre, dont il ne doutait pas, bien qu’il n’en pût concevoir la forme.

Quant aux conséquences terrestres de son acte, il n’y avait jamais songé, lorsqu’il vagabondait en gesticulant à travers la campagne, aux alentours de Chignac, ou s’avançait sur la route jusqu’au grand hêtre qui l’abritait dans son feuillage pendant des heures, immobile, perdu de contemplation, enivré de certitude et de sacrifice, extasié de désespoir.

Tout à l’heure, lorsque la voiture était passée sous l’arbre, et qu’il avait entendu monter vers lui la voix joyeuse des enfants, le bonheur des holocaustes l’avait transpercé de part en part, l’avait cloué à sa branche, tel un clou d’acier géant. Et son esprit avait glissé hors du temps, jusqu’au moment où la pression de son pouce sur la crosse du revolver et de son index sur la gâchette se fondirent tout à coup en une seule sensation, où il entendit une détonation, accompagnée d’une courte flamme, vit tomber un homme et comprit que c’était lui qui venait de tirer. Alors