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LA MAISON DES BORIES

fille au jeu d’échecs. Quand elle apporta l’échiquier à son chevet, les deux autres voulurent s’en mêler.

— Laisse-nous, Laurent. Tu n’y comprendrais rien, tu es trop bête.

Laurent sortit en sifflotant, les mains dans les poches. Le Corbiau Gentil serra les lèvres et baissa la tête. Lise n’avait rien entendu, fascinée par les noms enchanteurs des pièces de l’échiquier. Elle les déplaçait, les faisait virevolter, les apostrophait :

— Le Fou, allez dire au Roi que la Reine est dans la Tour avec le Cavalier.

— Voyez-vous ça ! dit Amédée. Et que fait-elle dans la Tour avec le Cavalier ?

La petite lève un regard où ruisselle du ciel :

— Le Cavalier chante, papa, et la Reine écoute.

— Non, trancha le Corbiau, de sa voix nette et monotone. Le Cavalier dit : « Madame, il faut me suivre. Le Roi est un mort vivant et il y a danger, » mais la Reine dit : « Je ne peux pas » et personne ne sait pourquoi.

— Qu’est-ce que tu racontes ? s’écria Amédée, en souriant. Tu veux faire concurrence aux histoires de ta cousine, à présent ?

— Elle est jolie, approuva Lise en hochant ses boucles d’un air connaisseur.

— Allons, laisse-nous jouer. Va-t’en retrouver ton frère !

— Ils appellent ça jouer ! s’écria la Zagourette en brandissant vers le plafond des mains indignées. Rester là comme des bûches, sans rien dire, ils appellent ça jouer !

Elle sortit en coup de vent et on l’entendit bondir de marche en marche en chantant « Cochon laiteux ».

Amédée disposait ses pièces : La Tour, le Cavalier, le Fou, la Dame Noire sur la case noire… La petite fille le regardait, sans bouger.

— Oncle Amédée ?