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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/23

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LA MAISON DES BORIES

Chientou bondissant, gueule ouverte et langue frisée, accueillait lui aussi cette foule plus vaste que le chemin creux.

— Attention ! cria Laurent. Je donne le signal au train des filles.

Et le cœur de la Zagourette fondit de joie à la pensée qu’elle allait revoir Juliette, la douce, la tendre, la jolie, la bien habillée, l’incomparable, qui conduisait sa locomotive comme une Bradamante, si belle, si blonde dans sa robe de satin bleu pâle — une robe à traîne qu’elle relevait pour courir, avec ses jambes de fée, de biche, de jeune femme au bal et de petite fille de six ans.

Non, se pouvait-il que la locomotive de Juliette — de Juliette ! fût condamnée à ne faire que du 110 alors que cet imbécile d’Henri menait la sienne à 120 ! Attends un peu, attends !

Lise court au-devant du train comme l’avait fait Laurent, pivote sur elle-même, s’élance à fond de train vers la gare de l’Églantier, halète, pantèle :

— Chef de gare ! chef de gare ! Je sais pas ce qui est arrivé, chef de gare ! La locomotive s’est emballée, elle a fait au moins du 140.

— Ah ! elle a fait du 140 ? dit le chef de gare. Eh bien, tu vas voir ta Juliette !

Hélas ! comme toutes les créatures parfaites, Juliette est vouée au bourreau. Laurent incarne toutes les persécutions qui peuvent fondre en cette vallée de larmes sur une Juliette et Juliette, vingt fois martyre et vingt fois ressuscitée, n’hésite jamais, pourtant, à monter sur sa locomotive, là-bas, au fond de l’espace, pour accourir au-devant du supplice et serrer sur son cœur la Zagourette ivre d’extase.

Ô folle Zagourette ! Qu’est-ce que cela pouvait bien faire, que la locomotive fît du 110 ou du 140 ! Qu’est-ce qu’une locomotive au prix de la vie de Juliette ! Et Lise éclate en larmes :