Aller au contenu

Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
LA MAISON DES BORIES

des goûts de princesse, qui ne voulait que de la vraie dentelle à ses chemises et ne mangeait pas le gras des côtelettes, avec vingt-cinq mille francs de dot ! Une bourgeoise plus fière qu’une impératrice et plus bohème que les plus bohèmes, qui se drapait sur le corps trois chiffons assemblés avec des épingles et appelait ça une robe, qui vivait sans montre, qui rangeait ses placards une fois tous les deux ans, qui n’était pas fichue de lire un indicateur des chemins de fer, qui arrivait toujours en gare au moment où le train démarrait avec huit paquets dans les bras plus une valise, qui se foutait de tout et de tous et se promenait dans la vie comme dans un parc du grand siècle, en levant le menton et regardant les manants du haut de ses sourcils de Chinoise ! Ah ! il la connaissait maintenant, il la connaissait à fond, prodigue, orgueilleuse, obstinée, intraitable, exaspérante ! Mais il lui restait encore à découvrir qu’elle était une garce et ça, il ne l’aurait jamais cru, jamais !

Ce Kürstedt, cette espèce de godelureau désossé avec ses grandes pattes de faucheux ! Mais qu’est-ce qu’elle avait bien pu lui trouver d’extraordinaire, bon sang de Dieu ? Ni beau, ni bien fait, une intelligence archi-moyenne, aucune idée personnelle, sinon pour vous débiter avec le sérieux d’un pape, des bourdes à vous retourner les ongles sur la couleur des mots et la sensibilité de l’espace ! C’est peut-être avec des âneries de ce genre qu’on pipait l’esprit des femmes ? Dire qu’il avait cru Isabelle intelligente et qu’elle était capable de donner dans des panneaux aussi grossiers ! Mais oui, elle l’admirait ! Un soir qu’il se moquait des théories de cet imbécile, elle lui avait répondu avec un sourire qui en disait long : « Je crois que vous n’êtes pas fait pour vous entendre avec les poètes ! » Ah ! Monsieur était poète ? Joli, le poète ! Un fameux salaud ! s’introduire dans une maison, flatter le mari, séduire la femme, capter les enfants