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LA MAISON DES BORIES

peut-être les questions. Encore un moment, rien qu’un moment… Elle avait dérangé, en rampant, le petit carré de cailloux. Elle le reconstitua soigneusement, recommença le rite de l’ouverture et de la fermeture de la porte. Et tous ses membres se contractèrent de plaisir, comme s’ils avaient voulu se réduire en réalité aux dimensions visibles de la maison du champ de seigle.

Isabelle appelait toujours : « Anne-Marie ! Anne-Marie ! »

« Elle était peut-être inquiète. Mais peut-être bien qu’on ne serait pas fâchée qu’elle fût inquiète, pour voir, oh ! simplement pour voir si elle était vraiment aussi inquiète quand il s’agissait du Corbiau, qui après tout n’était tout de même pas sa fille, que lorsqu’il s’agissait de Lise et de Laurent… »



— Mais voyons, disait Laurent d’un air de vieux philosophe, tu sais donc pas ce que c’est que la caboche d’une fille ? Je te dis qu’elle reviendra quand ça lui chantera.

Isabelle rentra dans la maison. Mais la vue de la table servie renouvela son souci.

— Ce n’est pas possible ! s’écria-t-elle avec feu, cette enfant n’a rien dans l’estomac depuis le déjeuner. Ne m’attendez pas, mangez.

Et elle repartit à sa recherche, — car si elle méprisait catégoriquement les femmes qui n’avaient rien dans le ventre, il lui était intolérable qu’un enfant n’eût rien dans l’estomac. Elle-même mangeait peu, mais elle prenait un plaisir inconscient à donner à manger. Enfants, mari, domestiques, chien, volailles, mendiants, tout ce qui dépendait de son gouvernement était glorieusement nourri. Un mauvais repas la rendait triste et elle trouvait au jeûne quelque