Aller au contenu

Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
LA MAISON DES BORIES

rieure, plate et mince, taillée en biseau, disparaissait sous la moustache, tandis que la lèvre inférieure rouge, pulpeuse, s’avançait comme pour dire « u », débordant la ligne du profil et formant au bas du visage pâle une voluptueuse gouttière, couleur de cire écarlate.

Quand Amédée se mettait en colère, avec sa lèvre et ses yeux clairs, ses joues pâles, il ressemblait à un masque de plâtre touché de vermillon et de bleu de Prusse et ces couleurs à la fois vives et figées donnaient à sa physionomie une dureté pétrifiante.

Pour le moment, il n’avait aucun sujet de mécontentement, au contraire, — et son visage était simplement celui d’un homme intelligent, sensuel et triste, avec des sourcils de charbonnier, un front de mathématicien et le port de buste correct, un peu raide, un peu théâtral de quelqu’un qui aime à présider, à parler pour une assemblée en posant ses avant-bras sur une table et faisant des gestes avec ses mains et qui aurait pu devenir cul-de-jatte sans que son prestige en souffrît, à condition qu’on lui laissât la table et l’auditoire.

En dépit de ce buste présidentiel, M. Durras vivait en ours, sauf de rares exceptions, dans sa maison des Bories, s’en allait seul dans la montagne avec son petit marteau de géologue et son sac, revenait deux, trois jours après, et si parfois Isabelle avait l’impression que quarante paires d’oreilles interchangeables lui auraient été nécessaires pour écouter son mari sans fatigue, elle aimait encore mieux cela que de le voir tourner indéfiniment autour d’une table, sans dire mot, les mains croisées derrière le dos, — comme il le faisait en ce moment, seul dans son bureau.

Une lumière égale emplissait la pièce, un peu adoucie par le déclin du jour, mais encore intense. Elle était si crue, cette lumière des Bories, que même dans une pièce tendue de sombre, elle paraissait ré-